Quand y a-t-il un « cas clair » ? Le rôle d’un assureur RC en cas de condamnation de son assuré.

X, conducteur en état d’ébriété, provoque un accident mortel de la circulation. La victime est le fils unique d’une mère mariée avec un homme qui n’est pas le père biologique de la victime, mais qui l’ a élevé comme son fils.

Au pénal, X est condamné à une peine d’emprisonnement, partiellement assortie du sursis. Il est également condamné, dans le même jugement–mais dans sa partie civile–à verser un tort moral de Fr. 60’000.- à la mère et de Fr. 30’000.- au beau-père. Ce jugement devient définitif exécutoire ; autrement dit, X est définitivement jugé comme étant le débiteur civil des Fr. 30’000.- envers le beau-père

L’assureur RC de X accepte de payer les Fr. 60’000.- à la mère, mais refuse les Fr. 30’000.-  pour le beau-père, en invoquant le fait qu’il (l’assureur) n’a pas participé au procès pénal et que les Fr. 30’000 seraient excessifs.

Le beau-père actionne alors l’assureur RC en demandant que soit appliquée la procédure simplifiée dite « pour les cas clairs ». À ses yeux, il est clair que si un détenteur est civilement condamné à payer quelque chose, c’est son assureur RC qui doit la somme en question. C’est ce que l’on appelle la « solidarité imparfaite ».

Les tribunaux, y compris le Tribunal fédéral dans son arrêt 4A_ 282/2015 du 27 juillet 2015 considèrent que la situation n’est pas si claire que cela et qu’il faut donc une procédure ordinaire. Certes, dit le Tribunal fédéral, il n’y a pas matière – ce qu’on fait à tort les instances cantonales – à appliquer l’article 53 CO, selon lequel le juge civil n’est pas lié par le jugement pénal. Néanmoins, dès l’instant où l’assureur RC n’était pas partie à la procédure pénale et n’a pas pu faire valoir son point de vue, il ne saurait être condamné sur la base du « cas clair ».

ATF 4A_282/2015 du 27.7.2015

Notre commentaire :

Cet arrêt nous paraît insoutenable. En effet, le but de du système de l’assurance RC automobile est de rendre l’assureur RC débiteur des sommes auquel son assuré (détenteur responsable) a été condamné. C’est la fonction de garantie de l’assurance RC obligatoire en matière automobile. Le lésé a le choix de s’en prendre soit au détenteur responsable, soit directement à son assureur RC. Si, dans un premier temps, il attaque le détenteur responsable et obtient la condamnation de celui-ci, mais qu’il se révèle par la suite que ce détenteur ne veut pas ou ne peut pas payer, le lésé peut demander le paiement à l’assureur RC, qui est solidairement responsable. Dès l’instant où il est possible d’élever une réclamation civile dans le procès pénal–auquel ne participe évidemment pas l’assureur RC–cette fonction de garantie devient importante. L’arrêt en question du Tribunal fédéral remet en question cette possibilité offerte au lésé de faire valoir ses prétentions civiles dans le procès pénal. Cet arrêt l’oblige à faire un deuxième procès civil identique – et complet – contre l’assureur RC, sans aucune utilité puisque le juge civil de ce deuxième procès ne devrait pas avoir la possibilité de condamner l’assureur RC à un autre montant que celui auquel son assuré, le détenteur ou le conducteur fautif, a été condamné.

On peut déplorer en outre que le Tribunal fédéral, qui a bien vu ce caractère exécutoire de la condamnation civile dans le cadre du jugement pénal, n’en ait pas tiré les conséquences les plus logiques, à savoir que l’assureur RC répond pour son assuré. Dans le cas présent, celui-ci va devoir ouvrir un procès ordinaire contre l’assureur RC pour se voir allouer une prétention qui lui a déjà été allouée et qui ne peut être différente de celle qui lui a été allouée comme prétention civile dans le cadre du procès pénal ! Il reste à espérer qu’ultérieurement cette question puisse être réexaminée, de manière à ne pas affaiblir la possibilité de faire valoir des prétentions civiles dans le cadre du procès pénal et de manière également à garder à l’assurance RC automobile obligatoire sa fonction de garantie financière en faveur des victimes. Autrement dit et pour faire simple : s’il y a un cas clair au sens de l’art. 257 CPC, c’est bien celui-là, l’assureur RC automobile devant payer les montants auxquels son assuré a été civilement condamné. Cela d’autant plus que l’assureur RC en question a toujours la possibilité de « prendre la direction du règlement de sinistre », soit d’assister et de conseiller son assuré  (le détenteur attaqué), que ce soit au pénal  ou au civil.

Accident de rafting : l’école est-elle responsable ?

Une école zurichoise organise, pour une classe d’adolescents, une journée de rafting sur la Sarine. A l’endroit appelé « Gorges du Vanel », un bateau avec plusieurs jeunes se retourne. Malheureusement, une jeune fille de 15 ½ ans reste accrochée par son gilet de sauvetage à une branche. Ce n’est qu’en coupant le gilet en question que, finalement, on réussit à la sortir de l’eau, malheureusement grièvement blessée. Transportée par hélicoptère à l’Hôpital de Berne, elle décède de ses blessures.

Les parents et la sœur de la victime ouvrent action pour réclamer du tort moral, mais leur action est rejetée tant en première qu’en deuxième instances. Ils saisissent donc le Tribunal fédéral.

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Contrat d’entreprise : nettoyage de vitres mal fait (bis)

Un cas analogue à celui que nous avons publié le 30 octobre 2014, où une entreprise de nettoyage avait rayé des vitres pour fr. 55’000.- dans une villa luxueuse,  s’est présenté à Genève, où 89 vitrages sur 109 comportaient des rayures plus ou moins importantes sur leur face extérieure, avec un coût de remplacement de plus de fr. 400’000.- (!). En première instance, le propriétaire de la villa perd son procès. Mais il le gagne en appel et la société de nettoyage recourt au Tribunal fédéral.

Devant cette autorité, la seule question litigieuse qui subsistait portait sur le calcul du dommage : faut-il prendre le coût du remplacement ? Faut-il prendre ce coût moins les avantages qu’a le propriétaire d’obtenir finalement une chose neuve ? Doit-il y avoir simplement une moins-value ? Read more…

Quand les CGA font-elles partie du contrat d’assurance ?

Un assuré déménage à l’étranger. Selon les conditions générales, cela le prive des prestations. Dans le procès en instance cantonale, l’assuré indique que la clause appliquée par l’assureur, le privant de prestations en cas de départ à l’étranger, n’est tout simplement pas incorporée au contrat : les CGA ne lui ont pas été communiquées. L’assureur se fonde sur la phrase usuelle, imprimée en petits caractères au-dessus de la signature du proposant (qui est l’assuré) indiquant que celui-ci a reçu les conditions générales.

Le Tribunal zurichois donne tort à l’assuré, qui recourt au Tribunal fédéral. Read more…

Rapports entre la prévoyance plus étendue et l’AI

Un assuré est au bénéfice d’une pension d’invalidité de la caisse de pension des CFF (deuxième pilier). Il s’agit dans cette affaire d’une rente dite « temporaire » ou « rente- pont », destinée en principe être servie jusqu’au moment où l’invalide a droit à une rente de l’assurance invalidité (premier pilier).

Plusieurs mois plus tard, l’office AI accorde enfin sa rente avec effet rétroactif. Pour la période concernée, où l’assuré a touché à la fois la rente AI et la rente de la caisse de pension des CFF, celle-ci demande le remboursement non seulement de ce que l’assuré a touché de l’AI pour la période en cause, mais également d’un excédent, représentant près de Fr. 3000, excédent qui existait parce que la caisse de pension avait des prestations un peu plus généreuses que celles de l’AI, et cela tant en ce qui concerne le montant que pour ce qui est de la définition de l’invalidité.

L’assuré est bien sûr d’accord de rembourser ce qu’il a touché de l’AI, mais il veut pouvoir conserver l’excédent. À son avis, la caisse de pension des CFF ne peut pas limiter ses prestations pour les rentiers qui touchent l’AI car ce serait créer une inégalité avec ceux qui ne touchent pas l’AI (ce qui pourrait arriver dès lors que les conditions pour toucher une rente AI sont plus sévères que celles posées pour toucher une prestation de la caisse de pension des CFF).

Le Tribunal des assurances du canton de Berne donne tort à l’assuré et le condamne à rembourser les Fr. 3000 à la caisse de pension des CFF. Ne l’entendant pas de cette oreille, l’assuré recourt au Tribunal fédéral. Read more…

Assurance d’indemnités journalières : assurance de somme ou assurance de dommages ?

Un garagiste indépendant s’assure pour des indemnités journalières en cas de maladie ou d’accident représentant Fr. 84’000 par année. La police indique qu’il s’agit d’assurance de somme. Toutefois, il est également mentionné dans les conditions générales — quelque peu en contradiction avec la mention d’assurance de somme — que la compagnie d’assurances couvre « les conséquences économiques d’une incapacité de travail due à la maladie ».

Alors qu’il était malade, donc au bénéfice des prestations d’indemnités journalières, ce garagiste a dû effectuer une période d’emprisonnement. Pour cette période, l’assureur refuse ses prestations en disant que l’assuré ne subit pas une perte économique en raison de la maladie, mais bien en raison de l’emprisonnement. De son côté, l’assuré fait valoir que s’il n’était pas emprisonné, il resterait néanmoins en incapacité de travail et que de toute façon la mention « assurance de somme » exclut que l’assureur puisse exiger la preuve d’une perte économique.

L’instance cantonale donne tort à l’assuré et considère qu’il s’agit bien d’une assurance de dommages : l’assuré n’ayant pas fait la preuve d’une perte durant la période d’emprisonnement, il n’a pas droit aux indemnités journalières.

L’assuré recourt au TF.

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Assurance privée : l’assuré qui déménage à l’étranger peut perdre des droits…

Un assuré est au bénéfice de prestations périodiques d’une assurance privée, en l’occurrence une rente d’invalidité. Il déménage an Hongrie. Au bout de deux ans, l’assureur lui indique que ces prestations sont supprimées, cela en vertu d’une clause des conditions générales, acceptées par l’assuré dans la proposition d’assurance. L’assuré s’y oppose et fait valoir devant le tribunal cantonal que les conditions générales en question ne lui ont pas été remises. De plus, cette règle de suppression des prestations après deux ans de séjour à l’étranger serait choquante et inhabituelle.

Le tribunal cantonal donne tort à l’assuré, qui saisit le Tribunal fédéral (TF).

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Douleurs sans substrat organique : du nouveau !

Dans l’éternelle discussion sur le SPECDO (syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique), le TF, à deux cours réunies, a décidé de changer sa pratique qui avait cours pendant plus de 10 ans, et cela dans un sens favorable aux assurés.

En particulier, il a décidé d’abandonner sa « présomption de surmontabilité ». Jusqu’ici, en présence de troubles psychosomatiques, survenant notamment après le « coup du lapin », sans que l’on puisse trouver une cause physique à ces troubles, mais également pour toute une quantité d’autres troubles du même genre, il appartenait à l’assuré de démontrer qu’il ne pouvait pas, malgré un intense effort de volonté, surmonter lesdits troubles. Or cette preuve — négative — est par définition pratiquement impossible à fournir. Ainsi, l’assuré n’avait pas droit à des prestations de l’assurance invalidité, ni à des prestations de prévoyance professionnelle. Bien souvent, il tombait à l’aide sociale.

Avec ce nouvel arrêt, le tribunal fédéral estime qu’il faut toujours des expertises psychiatriques, mais que celles-ci doivent être complètes et répondre à un certain nombre de critères, alors qu’auparavant — encore une fois — le caractère non invalidant des troubles était présumé.

Il faut tout d’abord procéder à un diagnostic des douleurs subies pour entrer dans une classification selon le manuel ICD-10. Le plus souvent il s’agit du chiffre F 45 (considérant 2 .1.1).

Bien entendu, les simulations doivent être exclues de l’assurance, comme jusqu’ici. De même, il faut que les troubles soient objectivement non surmontables ; le ressenti subjectif ne suffit pas. (Note Philippe Nordmann : les douleurs sont par définition ressenties subjectivement, mais elles deviennent d’une certaine manière objectives par des constats médicaux quant à leur intensité et leur durée).

Le TF ajoute qu’il avait déjà jugé par le passé que l’on ne peut pas toujours exiger de la personne qui souffre de manière aussi intensive et constante qu’elle dispose des ressources nécessaires pour se réintégrer dans le monde du travail.

S’appuyant sur des travaux juridiques et médicaux de toute première importance, le TF renonce donc désormais à sa présomption que les troubles sont surmontables sauf preuve contraires fournie par l’assuré.

Cette présomption conduisait à des schématismes, au détriment des assurés. Aujourd’hui, les expertises ne doivent pas au départ poser des critères faussés par un jeu de présomption. Il faut des expertises « ouvertes ».

De même, il n’est plus nécessaire de conserver le critère de la « comorbidité psychique » ni celui du « profit que l’assuré peut tirer de sa propre maladie » (considérant 4.1.1) . Plus précisément, le critère de comorbidité psychiques constitue désormais un seul critère avec celui des atteintes somatiques qui l’accompagnent.

Le TF va jusqu’à donner un catalogue systématique et détaillé de ce qu’il y a lieu d’examiner lors d’une expertise (considérant 4.1.3). En particulier l’analyse de la personnalité de l’assuré devient plus importante qu’auparavant (considérant 4.3.2). De même l’analyse de l’entourage social et du comportement général. L’expert devra aussi examiner si l’assuré se soigne ou non (considérant 4.4.2). Tous ces critères peuvent être contrôlés par le juge, car ils sont de nature juridique. Autrement dit, l’accent est mis en général sur les effets fonctionnels des troubles psychosomatiques : il appartient au juge de dire si l’expertise lui paraît suffisante pour admettre ou non le caractère invalidant des troubles.

En l’espèce l’assurée obtient donc l’annulation du refus de l’office AI d’entrée en matière et du jugement cantonal allant dans le même sens. Le TF ordonne une expertise psychiatrique judiciaire (c’est-à-dire organisée par le tribunal cantonal) pour clarifier tous les points qu’il a indiqués.

ATF 9C_492/2014 du 3 juin 2015, qui sera publié

Notre commentaire :

Depuis quelques années, les travaux scientifiques s’étaient multipliés pour démontrer que la jurisprudence schématique du tribunal fédéral ne tient pas, ni en elle-même,(expertise Henningsen),  ni au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (expertise de Müller/Kradolfer). L’arrêt de principe de 2004 (ATF 130 V 352) est ainsi renversé. De même, les jurisprudences de 2006 concernant la fibromyalgie, de 2007 et 2008 concernant les troubles dissociatifs de sensibilité et de motricité, de 2010 concernant le syndrome de fatigue chronique (CFS) et de 2011 concernant l’hypersomnie : toutes ces jurisprudences ne sont désormais plus valables. Et lorsque les troubles sans substrat organique sont la conséquence d’un accident, le tiers responsable ne pourra plus demander l’application par analogie de la jurisprudence sévère en matière d’assurance sociale, puisque précisément cette jurisprudence est maintenant modifiée.

 

 

Cycliste accidenté : négligence ou malaise ?

Un instituteur, âgé de 50 ans, circulait à vélo lorsqu’il traversa une double ligne de sécurité et percuta un véhicule qui roulait normalement en sens inverse. Il subit plusieurs lésions. Au pénal, une enquête n’eut pas lieu parce que le procureur considéra qu’il n’était pas exclu que cette faute de circulation ait été en réalité un malaise.

L’assureur accident, Axa Winterthur, considéra en revanche que l’assuré avait commis une négligence grave et que les prestations LAA devaient donc être réduites de 20 %.

Le Tribunal des assurances du canton d’Argovie annula cette décision de réduction. Mais Axa recourut au TF.

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Encore et toujours la réticence : certains assureurs abusent

Pour un contrat d’assurance maladie privée (soumis à la loi sur le contrat d’assurance), un assuré répond par la négative à des questions concernant le diabète et les maladies de cœur. Il déclare également n’avoir pas consulté de médecin au cours des cinq années précédentes.

Apprenant par la suite que l’assuré avait été opéré d’une hernie en 1998 et présentait une surcharge pondérale, l’assureur a exclu toute prestation en cas d’incapacité de travail dû à une affection cardiaque ou respiratoire.

Par la suite, l’assureur invoque une réticence concernant un manque de sensibilité dans les jambes : l’assuré aurait passé sous silence un état de santé fortement dégradée.

Par la suite, l’assureur invoque encore une autre réticence : l’assuré avait consulté un médecin à 41 reprises dans les cinq ans qui ont précédé la signature du questionnaire. Si elle avait su cela, la compagnie d’assurances aurait pris davantage de précautions.

Tous les tribunaux neuchâtelois donnent tort à l’assuré : il a commis une réticence. L’assuré recourt au Tribunal fédéral (il s’agissait d’ailleurs d’un deuxième recours devant cette autorité).

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