Rolex peut-elle s’opposer à ce qu’une entreprise tierce personnalise les montres qu’elle a vendues à des particuliers ?
Une entreprise offre, comme services, une personnalisation des montres de luxe Rolex, cela en changeant certaines pièces ou en leur donnant une nouvelle apparence, ou encore en modifiant des caractéristiques techniques. Par exemple : elle transforme une Rolex en un modèle squelette rendant le mouvement visible par transparence. Sur les modèles modifiés, cette entreprise appose ses propres signes à côté de la marque Rolex. On voit aussi apparaître des noms de personnalités qui n’ont jamais été ambassadrices officielles de Rolex.
Rolex n’a jamais octroyé d’autorisation quelconque à cette entreprise concernant l’utilisation de ses marques. Mais, selon l’entreprise en question, Rolex a toléré cette activité de longue date.
Le Tribunal compétent de Genève donne entièrement raison à Rolex, qui a demandé l’interdiction de l’activité de cette entreprise en ce qui concerne les montres Rolex. L’affaire aboutit au Tribunal fédéral.
Cette autorité examine tout d’abord, comme les juges genevois en ont décidé, si l’activité de cette entreprise est licite ou illicite. Et peut-on reprocher à Rolex d’avoir attendu trop longtemps avant d’agir ? Pour des raisons de procédure, il est répondu négativement : il manque au dossier la preuve que Rolex aurait longtemps toléré cette situation.
Sur le terrain du droit des marques, c’est la question de l’épuisement qui est au premier plan. Il y a épuisement lors de la première vente. Par exemple : l’exclusivité du mot « Citroën » appartient à ce fabricant mais celui qui revend d’occasion une Citroën ne viole pas le droit à la marque Citroën.
Ici, il n’y a pas de revente, mais une personnalisation (customisation) de chaque montre de chaque client, ce qui est un peu différent. La montre n’est donc pas remise sur le marché.
Le TF indique qu’il n’a jamais, jusqu’ici, traité ces questions de personnalisation ou customisation. Il peut y avoir des exceptions à la règle de l’épuisement « lorsque l’article (porteur) des marques concernées subit des modifications non autorisées par le titulaire de ladite marque ». Un tribunal valaisan avait jugé en 1992 que des jeans Levi Strauss ne pouvaient pas être revendus après avoir été délavés, sans l’autorisation de Levi Strauss.
Le TF opère une distinction entre deux modèles d’activité en lien avec la personnalisation de montres de marque :
– Dans le premier cas, une entreprise fournit des services de personnalisation, ce qui est en principe licite parce que le propriétaire l’a demandé;
– Dans le second modèle d’affaire, l’activité consiste à commercialiser des montres modifiées, ce qui est illicite.
Le TF constate qu’actuellement c’est le premier modèle d’affaire qui est utilisé, soit de transformer les montres à la demande expresse de chaque client.
Le TF admet partiellement le recours : le type d’activité offerte par l’entreprise de customisation est en soi licite, mais il manque des éléments concernant la licéité de la publicité faite par cette entreprise au regard du droit des marques. Le recours est ainsi partiellement admis et les dépens sont compensés.
ATF du 19.01.2024, 4A_171/2023 destiné à publication
Notre commentaire :
Cet arrêt très intéressant aborde pour la première fois la question de la licéité des services de customisation (personnalisation) de produits de luxe, qu’il s’agisse de montres ou, par exemple, de voitures. Le point central est de savoir si l’objet customisé est resté ou non dans les mains de son propriétaire ou si, au contraire, il a été remis sur le marché, ce qui est illicite au regard du droit des marques. La cause a été renvoyée en instance cantonale pour que soit examinée encore la licéité ou non de la publicité effectuée par l’entreprise de customisation. Il se peut dès lors très bien que cette affaire parvienne une 2ème fois au Tribunal fédéral…
Ce « jugement de Salomon », qui ne ferme pas le marché de la personnalisation, nous paraît satisfaisant. Il sera très intéressant de lire les jugements suivants, concernant la possibilité ou non qu’ont de telles entreprises de faire une publicité générale, du style « Nous customisons vos montres Rolex ».
Cela dit, qu’en est-il p.ex. des garages qui offrent des lots de véhicules d’occasion reconditionnés d’une certaine marque – par définition de haute renommée, mettons Renault – et qui semblent correspondre au second modèle d’affaires décrit par le TF ? Il pourrait y avoir violation du droit à la marque du fabricant. Le TF n’a pas eu à aborder la question, qui reste à notre avis ouverte.
En revanche, la question d’une protection élargie en faveur des marques de haute renommée, ce qui est le cas de Rolex, ne paraît pas se poser en l’espèce : le but de cette protection élargie est de s’étendre à des produits autres que ceux offerts principalement par le titulaire de la marque, ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire.