Dépression : quand donne-t-elle droit à une rente d’invalidité ?

Le TF a rendu récemment un arrêt de principe, destiné à publication, après une délibération publique. Il s’agissait d’une femme souffrant d’une dépression de degré moyen, chronique, traitée par une séance mensuelle chez le psychiatre.

Le TF se montre particulièrement sévère et refuse une rente. Il écrit (traduction du considérant 5.3.2) : « Le fait que l’expert psychiatre a attesté de la chronicisation du trouble dépressif ne suffit pas.. En effet, les troubles psychiques de degré léger à moyen peuvent en principe, selon la jurisprudence, être traités (référence faite ici à l’arrêt 9C_340/2015). Si ces troubles se révèlent exceptionnellement résistants à la thérapie, ils ne sont invalidants que si cette thérapie, ambulatoire ou stationnaire, est suivie de manière conséquente et qu’elle est exigible médicalement parlant ; les options thérapeutiques doivent être épuisées, cela avec la coopération du patient et de façon suivie (référence est faite à la jurisprudence 9 C_13/2016). L’instance cantonale a eu raison de considérer qu’un traitement mensuel n’est guère intensif et qu’on ne peut donc parler d’une fréquence utile au traitement. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un rendez-vous chez le psychiatre toutes les deux à trois semaines est insuffisant pour traiter une dépression (suivent diverses références). Cette jurisprudence a laissé ouverte la question de savoir si un traitement tous les 15 jours est suffisant, ce qui est douteux (…) En l’espèce, la consultation mensuelle auprès d’un psychiatre est insuffisante. Certes, l’expert psychiatre atteste d’une chronicisation, mais pas d’une inefficacité des soins (« Therapieresistenz »). Il n’y a donc pas d’atteinte à la santé invalidante. Le fait que l’expert n’a pas relevé chez l’assurée de tendances à l’exagération n’y change rien ».

ATF 89C_814/2016 du 3.4.2017, destiné à publication

Notre commentaire :

Nous constatons que le TF ne se contente plus de trancher les questions d’invalidité (incapacité durable de travail), mais qu’il fixe désormais des critères médicaux quant aux traitements exigibles. Ainsi, il fixe la fréquence des consultations chez le psychiatre, sans d’ailleurs dire qui va payer toutes ces consultations. Et on sait qu’en matière de dépression, l’incapacité de travail dure souvent très longtemps. Il faudra donc, pour les assurés, attendre des mois ou des années avant de pouvoir affirmer que leur dépression, même de degré moyen, est résistante à la thérapie. Le TF ne dit pas d’une manière générale combien de mois ou d’années vont devoir s’écouler avant que ce stade de résistance soit admis. En tout cas, les assurés ont intérêt, tant pour leur santé que pour sauvegarder leurs droits en assurance sociale, de ne pas négliger les traitements psychiatriques.

Cette évolution jurisprudentielle, qui vise avant tout à réduire le nombre des rentes pour troubles psychiques (lesquels représentent  à peu près la moitié des 220’000 rentes AI), a fait l’objet de critiques approfondies de professeurs de droit et du corps médical (article de Andrea Fischer dans Tagesanzeiger du 12 juin 2017).

Rente payée à tort après le décès : les héritiers doivent-ils rembourser ?

Un directeur d’entreprise bénéficiait d’une prévoyance professionnelle et d’une assurance pour les cadres. Il décède le 2 novembre 2009. La caisse de pension cesse immédiatement le paiement de la rente vieillesse qu’elle versait. Mais l’assurance, ignorant apparemment le décès, continue à payer les rentes et à adresser les avis d’usage à l’assuré décédé. Ce n’est qu’au début 2013 que ces paiements injustifiés sont décelés. Plus de Fr. 200’000.- ont ainsi été versés au défunt, somme qui a bénéficié à ses héritiers.

L’assurance attaque donc ces héritiers et elle obtient gain de cause devant le tribunal zurichois : ils doivent rembourser les Fr. 200’000.-. Ils recourent au Tribunal fédéral (TF), invoquant notamment la prescription ; les juges fédéraux n’étant apparemment pas d’accord entre eux, une audience publique est organisée le 29 mars 2017.

Le TF se demande tout d’abord quelle est la base légale applicable au remboursement réclamé. S’agit-il de l’article 35a LPP ? Cette disposition a la teneur suivante :

Art. 35a

 Restitution des prestations touchées indûment

1 Les prestations touchées indûment doivent être restituées. La restitution peut ne pas

être demandée lorsque le bénéficiaire était de bonne foi et serait mis dans une situation

difficile.

2 Le droit de demander la restitution se prescrit par une année à compter du moment

où l’institution de prévoyance a eu connaissance du fait, mais au plus tard par cinq

ans après le versement de la prestation. Si le droit de demander restitution naît d’un

acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long,

ce délai est déterminant.

Si cette disposition est applicable, le délai est d’une année dès la connaissance, par l’institution de prévoyance professionnelle, de son droit d’exiger un remboursement (la règle des cinq ans n’a pas d’importance ici).

D’autre part, la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) ne s’applique pas en matière de prévoyance professionnelle ou d’assurance privée. Il est donc exclu, pour l’assurance en cause, d’émettre une « décision de restitution ».

Le TF considère que les héritiers n’ont pas eu de rapport de prévoyance avec l’assurance, car seul le défunt avait ce rapport. Par conséquent, ni la LPP ni la LPGA ne leur sont applicables. Seul l’est le Code des obligations (CO) , spécialement les articles 62 et suivants sur l’enrichissement illégitime. L’art. 67 al. 1 de ce Code indique :

Art. 67

1 L’action pour cause d’enrichissement illégitime se prescrit par un an

à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de

répétition, et, dans tous les cas, par dix ans dès la naissance de ce

droit.

On constate que cette disposition n’est finalement pas fondamentalement différente de l’article 35a LPP, puisque le délai d’une année court, pour la partie lésée,  dès la « connaissance de son droit de répétition ». Néanmoins, les juges zurichois n’ayant pas examiné en détail le respect de ce délai, le recours des héritiers doit être admis et la cause renvoyée à l’instance inférieure pour nouveau jugement à la lumière des dispositions du CO sur l’enrichissement illégitime.

9C_108/2016 du 29 mars 2017, destiné à publication

Notre commentaire :

L’arrêt n’indique pas pour quelles raisons il a fallu une délibération publique, dès lors que, dans le présent cas, il n’y a pas de différence fondamentale, quant au résultat, entre la base légale (faussement) choisie par les juges cantonaux (la LPP) et celle qui aurait dû s’appliquer (le CO) : dans les deux cas, le délai est d’une année dès la connaissance, par l’assureur, du droit d’exiger le remboursement. Autrement dit, le résultat semble devoir être le même.

À moins toutefois qu’il ne s’agisse pas que d’une question de prescription : si le juge doit désormais se fonder sur les règles du CO, il peut envisager d’appliquer aussi l’article 64 CO, qui dispose :

«Il n’y a pas lieu à restitution, dans la mesure où celui qui a reçu indûment

établit qu’il n’est plus enrichi lors de la répétition; à moins

cependant qu’il ne se soit dessaisi de mauvaise foi de ce qu’il a reçu

ou qu’il n’ait dû savoir, en se dessaisissant, qu’il pouvait être tenu à

restituer. »

Ainsi, il se peut que, grâce à cette disposition, les héritiers parviennent à démontrer qu’ils ne sont plus « enrichis », autrement dit qu’ils ont dépensé de bonne foi les Fr. 200’000.-. Mais c’était très douteux dans le présent cas : ces héritiers avaient offert de déposer la somme auprès du Tribunal fédéral, ce qu’ils n’auraient pas pu faire s’ils ne disposaient plus du montant en question, offre que d’ailleurs le TF a rejetée…

On peut donc penser en définitive que la délibération publique avait avant tout à caractère scientifique, pour débattre et trancher la question de la base légale.