On lit tout et n’importe quoi !
Pour les assureurs et gestionnaires, on serait au bord du gouffre, et il faudrait donc immédiatement baisser les prestations : moins de rentes et moins de rendement aux assurés.
Pour les travailleurs et les syndicats, la situation n’a jamais été meilleure : en 2012, les rendements obtenus ont largement dépassé ce qui a été attribué aux assurés, autrement dit ceux-ci ont été volés de plusieurs milliards.
Quelques titres de la presse toute récente :
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Tagesanzeiger 20.9.12 : « Les caisses de pension vont un peu mieux »
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idem 20.9.2012 : « Le Conseil fédéral et les assureurs sont-ils des voleurs de rentes ? »
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Le Temps, 24.9.2012 : « Le IIème pilier ? Il va bien ! Non, il meurt ! » (débat contradictoire entre deux gestionnaires professionnels, Martin Janssen, « pessimiste », et Olivier Kern, plutôt « optimiste »)
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Saldo, 26.9.2012 : « La prévoyance-vieillesse va bien, de gros profits sont réalisés sur le dos des assurés » .
Il ne s’agit pas d’une discussion entre les tenants du verre à demi-vide et ceux du verre à demi-plein : car dans ce genre de discussion, on est au fond d’accord qu’il y a bien 50% d’eau dans le verre !
Ici, les enjeux sont considérables : une appréciation pessimiste peut conduire à des décisions de payer davantage (plus de cotisations), ou de verser moins aux assurés (réduction du taux d’intérêt servi aux assurés, baisse du taux de conversion (moins de rentes pour un même capital), ou encore à édicter des règles différentes de gestion. Les effets de telles décisions sont considérables à court terme (qui gagne ou perd chaque année?) comme à long terme (quelles garanties de solidité des caisses?)
Le IIème pilier est une épargne forcée, qui vaut actuellement près de … 800 milliards. Or, si la loi m’oblige à épargner, et sans que je puisse choisir comment, qu’elle me garantisse au moins des rendements tels que je retrouve, à ma vieillesse ou immédiatement (si je deviens invalide ou si je sors de la caisse pour changer d’emploi), un capital correctement accru !
Voici les faits incontournables permettant de se faire une opinion :
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Le taux de couverture (le pourcentage des avoirs des caisses par rapports à leurs obligations, si elles devaient être liquidées demain) s’est rétabli, du moins pour les caisses privées. Il est de l’ordre de 107% en moyenne,voire supérieur, et il s’est amélioré pour les caisses publiques (env. 80%, alors qu’il il n’y a pour elles aucune nécessité d’atteindre le 100%).
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Le rendement légal minimal de 1,5% est fixé très, voire trop bas. Les capitaux rapportent actuellement quelque 8% . Swiss Life, qui avait menacé de renoncer aux affaires de IIème pilier si le peuple rejetait la baisse du taux de conversion (il ne s’est pas laisser impressionner), admet désormais que ce secteur est très lucratif pour elle (bénéfice 2011 : env. 500 mios). Le reproche de « vol de rentes » est fondé : les rendements obtenus sur les fonds des assurés leur appartiennent.
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Les frais administratifs demeurent excessifs, soit env. 1000.- par année et par assuré (1,2 milliards en 2009), ce qui fait tout de même 50’000.- sur une vie active !
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L’argument des « pessimistes », selon lequel il ne faudrait pas améliorer les prestations vu qu’on est actuellement dans une (légère) déflation (les assurés bénéficiant ainsi d’une appréciation réelle de leurs avoirs), n’a aucune base légale : la LPP ne tient pas compte de l’indice des prix, ce que le Conseil fédéral a rappelé dans son rapport de janvier 2012 sur la situation du IIème pilier.
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L’équilibre à long terme du IIème pilier est garanti, le vieillissement de la population étant plus que largement compensé par les cotisations des – plutôt jeunes –immigrés.
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Le taux de conversion, actuellement de 6,8% (un capital de 100’000.- est converti en une rente annuelle de 6’800.-), ne doit pas être abaissé, et cela pour 2 raisons au moins :
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on ignore aujourd’hui quelle sera la situation sur les marchés financiers à l’échéance, éloignée de plusieurs années, voire dizaines d’années; restons-en à un raisonnement en capital
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Les retraités actuels sont nés juste après la guerre (baby-boom) et ils seront moins nombreux dans quelques années
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d’éventuels mancos de capital pour assurer une retraite valable (env. 60% du dernier revenu, en comptant avec l’AVS) peuvent aussi être comblés par des cotisations plus élevées, et non seulement par des prestations plus basses. Ce n’est pas pareil : les cotisations sont assumées tant par le salarié que par l’employeur, alors que la baisse des prestations reste entièrement à la charge des seuls salariés.
En conclusion, le système des 3 piliers voté en 1972 (épargne obligatoire) reste défendable, mais pour autant que la totalité des capitaux économisés par les salariés et des rendements qu’ils génèrent leur revienne. Tant que des tiers (assureurs, gestionnaires notamment) font leurs choux gras de ce gigantesque capital, il ne doit pas être question de baisses de prestations. S’il des assainissements importants devenaient nécessaires (ce n’est pas du tout le cas actuellement), il faudrait alors étudier une absorption du IIème pilier obligatoire par l’AVS, le IIème pilier sur-obligatoire pouvant le cas échéant être « sorti » du système et aller au IIIème pilier.
Philippe Nordmann