Impossibilité psychique de travailler à un poste de travail : devoirs de l’employeur

X.  est chef-poissonnier. En cette qualité il a travaillé  à deux magasins  des villages de A. et B.

Il est atteint d’une incapacité de travail pour des raisons psychiques liées en bonne partie à ces deux lieux de travail.  L’expert-psychiatre atteste cependant qu’il pourrait travailler dans d’ autres magasins de la chaîne, ce à quoi X se déclare disposé.  L’employeur n’est pas de cet avis et l’assigne au magasin de A, ce que, dans un premier temps, X accepte. L’employé ne se présente pourtant pas à ce travail et se fait licencier (licenciement ordinaire, avec préavis, non licenciement immédiat). Il estime ce licenciement abusif et attaque la chaîne devant le Tribunal de Prud’hommes. Débouté en première instance, il obtient gain de cause en appel. Mais l’employeur recourt au TF.

Cette autorité judiciaire constate que le litige se situe dans le cadre de l’art. 328 CO, prescrivant à l’employeur de protéger la santé et la personnalité du travailleur. Certes, celui-ci, dans un premier temps, ne s’était pas opposé à cette assignation au magasin de A. Mais cette absence de refus est justement, selon l’expertise, à mettre au compte de sa maladie psychique. Or,  l’employeur, de son côté,  n’a pas indiqué de raisons valables l’obligeant à garder ce salarié justement là où il ne pouvait travailler. Le licenciement est bel et bien abusif et le jugement cantonal doit être confirmé.

ATF du 19.2.2014 4A_2/2014

Notre commentaire :

Cette action du salarié n’était pas « gagnée d’avance », et il semble que la décision de la Cour d’appel, puis du TF, favorable au travailleur, soit due avant tout à une défense procédurale de l’employeur quelque peu insuffisante : l’arrêt n’indique nulle part des arguments que l’employeur aurait fournis pour obliger son employé à rester précisément dans l’un des magasins où, psychiquement, il ne pouvait travailler. Mais le côté intéressant de l’arrêt, c’est qu’il rappelle l’importance de l’art 328 CO, spécialement dans des cas de harcèlement ou d’incompatibilité d’humeur au lieu de travail.

Dommages professionnels tardifs (amiante etc) : prescription ?

Comme on a pu le lire partout, la « Petite Chambre » de la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg a donné tort à la Suisse, en estimant que la jurisprudence constante du TF sur la péremption et la prescription aboutissait à priver les lésés et leurs familles d’un procès équitable (§ 6 CEDH).

En effet, selon ces jurisprudences (126 II 145, 127 III 257; 134 IV 297 ; 136 II 187), le point de départ du délai de 10 ans se situe au dernier acte dommageable (ici : l’exposition à l’amiante). Or, le problème des dommages tardifs, qu’il s’agisse d’amiante, de radioactivité (cas des ouvrières mettant du radium sur des aiguilles de montres), de substances toxiques etc., est que la maladie peut se déclarer bien après ce délai; il en va ainsi du mésothéliome (cancer de la plèvre) causé par l’amiante. Or, une personne ne peut pas agir avant de savoir qu’elle a subi un dommage…

La Cour rappelle que la Suisse est au courant de cette problématique, vu les travaux législatifs en cours pour changer cela.

Mais les lésés ne peuvent attendre…

La Cour estime qu’en continuant d’appliquer sa jurisprudence stricte, le TF, donc la Suisse, empêche les victimes de faire valoir leurs droits, en bloquant leurs actions grâce au « mur de la prescription », auquel elles se heurtent nécessairement. Se référant à sa jurisprudence Esim c. Turquie (No. 59601/09 du 17.9.2013), où il s’agissait d’une balle de revolver logée dans la tête et découverte avec un retard de 17 ans (!), la Cour a estimé que dans de tels cas le délai de prescription est trop bref, puisqu’il expire avant même la connaissance du dommage.

( 1 opinion dissidente du Juge  Lemmens ; 1 opinion concordante du Juge Spano, demandant toutefois que les Etats adoptent des délais de prescription suffisants pour « la grande majorité des cas »)

Arrêt du 11.3.2013, encore susceptible d’appel de la Suisse à la Grande Chambre

 

Notre commentaire :

Enfin ! Bravo à Mes David Husman, ainsi que Philip Stolkin, et à leurs clients, pour leur persévérance. Ils ont réussi à ouvrir la porte aux victimes de préjudices à long terme (invalidité, décès). Ici, il y avait une action tant contre la SUVA (qui certes fournissait ses prestations légales pour maladie professionnelle,  mais n’avait pas pris les mesures préventives nécessaires contre l’amiante), que contre l’employeur (art 328 CO). Cela dit, il faut toujours, pour les accidents ou maladies causés avant le 1.1.2003,  examiner si l’employeur a ou non commis une faute grave, vu l’art. 44 LAA abrogé à cette date. Après le 1.1.2003, une action en responsabilité civile contre l’employeur n’est plus restreinte aux cas de « faute grave ».  Ici cette question de faute grave n’avait pas à être examinée par la Cour, le recours étant limité à la question de la prescription ; il nous semble cependant que l’exposition à l’amiante était connue comme dangereuse dès le début des années 1970 voire avant (interdiction du flocage vers 1975, interdiction générale de l’amiante en 1989), de sorte que la faute grave paraît réalisée.

Une réclamation non chiffrée (avec montant minimum) interrompt la prescription

« Un maître d’ouvrage engage une procédure civile,  soumise à l’ancien Code de procédure neuchâtelois (applicable aux procès ouverts avant le 1.1.11, dès cette date c’est le Code suisse qui s’applique). Les conclusions sont de 200’000.-, mais le demandeur déclare se réserver de les augmenter ultérieurement, une fois qu’il aura en mains tous les éléments du dommage, à prouver par une expertise, d’ailleurs accordée par le juge. En Réplique, il prend des conclusions de plus de Fr. 4’000’000.- .

Toutes les instances neuchâteloises jugent que ce qui dépasse 200’000.- est prescrit.  En effet, la prescription n’est interrompue, en cas d’action en justice (art. 135 CO), que pour le montant indiqué. Si le créancier veut interrompre la prescription pour un montant plus élevé, il doit faire notifier un commandement de payer, ou alors chiffrer sa prétention en justice « un peu à l’aveuglette », mais en prenant une bonne marge de sécurité.

Le maître de l’ouvrage recourt au TF.

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