Amiante et justice suisse : la Cour des droits de l’homme tape à nouveau sur les doigts du Tribunal fédéral et du Parlement

Marcel Jann a vécu avec ses parents entre 1961 et 1972 à proximité immédiate de l’usine Eternit à Niederurnen (Glaris). Comme enfant, il a joué avec les panneaux et tuyaux Eternit contenant de l’amiante. Il a quitté Niederurnen en 1972 à l’âge de 19 ans, ce qui a été son dernier contact avec l’amiante. En 2004, un diagnostic de cancer de  la plèvre, typique des affections dues à l’amiante, a été posé, cancer qui a entraîné sa mort en 2006 à l’âge de 53 ans.

Les démarches pénales qu’il avait engagées n’ont pas abouti.

Après sa mort, ses héritiers ont entamé des actions civiles, jusqu’au Tribunal fédéral, qui a suspendu le cas (dès lors qu’une autre affaire un peu similaire était en route et du fait que le Parlement suisse allait modifier les délais de prescription concernant les victimes de l’amiante). Ce délai était précédemment de 10 ans dès la fin de l’exposition à l’amiante et le Parlement l’a porté à 20 ans. A noter que le cancer de l’amiante peut survenir jusqu’à 50 ans après l’exposition.

Finalement, le Tribunal fédéral a donné tort à la famille Jann : un délai de 37 ans entre la fin de l’exposition à ce produit nocif et le début de la maladie était tellement long qu’on peut admettre la prescription.

La famille Jann recourt auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg faisant valoir essentiellement que même le nouveau délai de prescription de 20 ans décidé par le parlement était trop bref au vu de la latence considérable du cancer de l’amiante. Autrement dit : pour les victimes, même un délai de 20 ans constitue un obstacle à obtenir justice selon la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour donne raison à la famille Jann. Elle relève tout d’abord que feu Marcel Jann a , dans un premier temps, cherché à obtenir justice par la voie pénale, sans succès. Il n‘a donc rien négligé.. Le Parlement suisse n’a pas « fait tout son travail » en portant simplement ce délai absolu de prescription de 10 ans à 20 ans. Aucune victime ne peut agir avant de savoir qu’elle est effectivement malade. Il y a donc violation de l’art. 6 § 1 de la Convention, permettant un accès raisonnable à la justice. La Cour ajoute que le Tribunal fédéral n’aurait pas dû suspendre l’examen du cas au motif que le Parlement était saisi de cette question, et n’aurait pas dû faire  durer la procédure pendant au moins 6 ans .

Finalement, la CourEDH, à l’unanimité, a retenu deux violations de l’art. 6 § 1 de la Convention, soit d’une part quant à l’accès à la justice et d’autre part quant à la lenteur de la procédure, accordant à la famille Jann € 20’800.- de dommages et intérêts pour tort moral et € 14’000.- pour le remboursement de leurs frais, à charge de la Confédération.

Requête 4976/20 du 13.02.2024 (rédigée en anglais)

Notre commentaire :

Il faut relever tout d’abord que Marcel Jann n’avait jamais été employé d’Eternit. Il faisait valoir des dommages et intérêts pour son cancer de la plèvre en tant que tiers lésé, alors qu’il était jeune, par la proximité de sa maison avec l’usine Eternit. La CourEDH a statué en faveur de la famille Jann malgré le fait que 37 ans s’étaient écoulés entre la fin de l’exposition à l’amiante et le début de la maladie. Autrement dit, le système suisse faisant courir la prescription dès la fin de l’exposition et prévoyant un délai absolu de prescription de 20 ans ne tient pas au regard de la Convention européenne. Tant le Parlement que le Tribunal fédéral devront « revoir leurs copies », ce qu’ils n’ont fait que très (trop) partiellement suite à divers arrêts de la CourEDH, notamment, concernant la Suisse, l’arrêt Howald Moor du 11 mars 2014, requête 52067/10 et 41072/11.

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