Travailleurs manuels âgés : quand ont-ils droit à une rente AI ?
Le TF vient de publier deux arrêts importants à ce sujet, qui clarifient certaines questions. Le premier arrêt est destiné à une publication officielle.
Premier arrêt 8C_494/2019 du 6 juin 2019 :
Un plâtrier peintre indépendant, quoique sans formation professionnelle, né en 1957, se blesse à l’épaule en 2013. Il est établi que, médicalement, il ne peut plus exercer son ancien métier. L’office AI considère en 2015 que des mesures professionnelles ne sont pas possibles et accorde finalement une rente entière d’invalidité, mais limitée au 31 juillet 2015.
Dès cette date en effet, il estime que cet assuré aurait pu retrouver par lui-même une activité adaptée sur le marché général du travail. Par conséquent, la rente ne court que jusqu’en juillet 2015. Ce point de vue est confirmé par le Tribunal cantonal.
L’assuré recourt au TF. Cette autorité constate tout d’abord que cet assuré n’avait pas encore 59 ans en 2015 et qu’il lui restait donc environ six ans d’activité professionnelle possible. Par conséquent, il n’était pas en soi injustifié d’exiger qu’une activité de substitution soit exercée.
Mais — et c’est la question centrale de cet arrêt — peut-elle l’être via une « réintégration par soi-même » ? En effet, le TF a constamment jugé (suit un abondant rappel de jurisprudence) que les assurés qui ont touché une rente AI durant 15 ans au moins ou qui ont atteint l’âge de 55 ans ont droit à des mesures de réintégration de l’AI : une « réintégration par soi-même » n’est pas présumée possible (sous réserve de preuves contraires dans le cas concret). Le fardeau de la preuve de cette possibilité de réintégration par soi-même est à charge de l’office AI.
Le TF dit n’avoir pas encore tranché de manière claire la question de savoir si ces règles s’appliquent également aux rentes limitées dans le temps. Il répond ici par l’affirmative : peu importe que le refus de rente au-delà d’une certaine date soit englobé dans la décision octroyant la rente pour la période précédente (une seule décision pour les deux périodes) ou qu’il y ait deux décisions séparées, l’une octroyant la rente et l’autre supprimant celle-ci. Dans les deux cas, l’office AI doit s’assurer qu’après 55 ans la personne est effectivement en mesure de s’auto-réadapter. Or, cet examen n’a pas été fait ici. Le recours est donc admis : il incombera à l’office AI d’examiner si l’éloignement du travail est due ou non à autre chose que l’invalidité, et si l’assuré peut vraiment mettre en valeur une agilité particulière ainsi que de bonnes connaissances professionnelles et une intégration suffisante dans la vie sociale.
Deuxième arrêt 8C_759/2018 du 13 juin 2019
Un charpentier, né en 1955, directeur de son entreprise, subit un accident le 20 janvier 2012 (fracture pluri-fragmentaire du calcanéum gauche). L’office AI lui refuse une rente. Sur recours au Tribunal cantonal, il se voit allouer une rente entière d’invalidité, mais temporaire du 1er février 2013 au 31 janvier 2016. Certes, cet assuré n’est plus à même d’exercer son ancienne profession de charpentier, mais, selon l’office AI, il peut, à 60 ans, exercer une activité de substitution, par exemple comme travailleur auxiliaire non qualifié. Une comparaison des revenus n’aboutit qu’à une invalidité de 26 %, inférieur au seuil de 40 % permettant l’octroi d’un quart de rente AI.
L’assuré recourt au TF. Il fait valoir qu’il est sur-qualifié pour une activité d’auxiliaire, après avoir été chef pendant de nombreuses années. Il ne peut accepter une telle déqualification à l’âge de 60 ans.
Là encore, le TF lui donne tort sur ce point : la vie professionnelle n’est pas terminée à 60 ans. Il subsiste des possibilités d’activités « de niche ». Le TF parle d’activités de surveillance, de contrôle, d’utilisation de machines semi-automatiques et mentionne même les métiers de gardien de musée ou de surveillant de parking (!)
Toutefois, là encore, l’office AI aurait dû examiner les possibilités concrètes d’auto-réadaptation, puisque l’assuré a dépassé l’âge de 55 ans. Le recours est donc partiellement admis et la cause est renvoyée à l’office AI.
Nos observations :
Nous ne partageons pas entièrement la rigueur du TF concernant les travailleurs exerçant des professions avant tout physiques qui sont âgés de 60 ans environ. À cet âge, le marché du travail ouvert à ces assurés est particulièrement restreint. La retraite se situe même parfois à 60 ans dans ces métiers (retraite anticipée ou retraite flexible, par exemple dans le bâtiment ou le secteur des échafaudages). Quel employeur engagerait encore des travailleurs âgés, de surcroît handicapés pour passablement de gestes professionnels ?
S’agissant en particulier des activités de « gardien de musée » ou « surveillant de parking », nous estimons qu’elles devraient disparaître définitivement des catalogues de professions manuelles de substitution, tant il s’agit de professions certes honorables mais très rares, qui ne produisent rien et qui sont considérés de ce fait — ce qui est compréhensible — par les travailleurs manuels comme inenvisageables, à l’instar activités de substitution mentionnées autrefois : « garçon d’ascenseur », voire « portier ». À noter d’ailleurs que plusieurs de ces professions ont été transformées : les parkings sont automatiques et les employés de musées doivent aussi faire du travail manuel notamment dans les déplacements d’œuvres d’art…
En revanche, nous approuvons l’atténuation de cette rigueur par le biais des preuves exigées des offices AI que les assurés se trouvant dans cette situation ont effectivement bénéficié de mesures sérieuses et concrètes de réadaptation professionnelle (de nouvelles formations professionnelles sont pratiquement exclues à cet âge). Si cette preuve n’est pas apportée, le recours doit être admis et la cause renvoyée aux offices AI. Quoique, entre-temps, les années s’écoulent et il devient de moins en moins possible de voir aboutir ces mesures de réadaptation professionnelle.
Autrement dit, dès l’âge de 55 ans ou après avoir touché une rente pendant 15 ans, un assuré n’est pas présumé, sauf preuve contraire, être à même de trouver par lui-même une nouvelle activité professionnelle qui serait en soi exigible. Il doit être aidé. On pense en particulier à des stages en entreprise, cela après des évaluations sérieuses des potentiels professionnels sur les plans à la fois physiques et intellectuels.
On comprend que par cette jurisprudence le TF cherche à éviter de mettre à charge de l’AI toutes les difficultés éprouvées par des assurés âgés atteints dans leur santé, cela tout en faisant prévaloir — malgré tout — le principe qui est à la base du système, à savoir que « la réadaptation prime la rente ». Lorsque la réadaptation par soi-même n’est plus possible (ce qui est présumé pour les assurés ayant au moins 15 ans de rente ou 55 ans), elle doit en principe être faite par l’office AI.