Récusation d’un expert médical proche d’un assureur

Un salarié, né en 1969, subit en 2018 un accident de vélo, causant des fractures à l’épaule droite et au bras gauche. A un moment donné, l’assureur met fin à ses prestations. Bénéficiant d’une protection juridique, l’assuré fait opposition et produit plusieurs rapports médicaux. L’assureur ordonne alors une expertise qui se déroule chez l’expert Dr. K. Ayant consulté un nouvel avocat à Lausanne, l’assuré fait désormais valoir que cet expert est en fait l’associé du médecin-conseil de l’assureur et qu’il doit donc être récusé. En même temps, cet avocat demande la liste anonymisée de toutes les expertises confiées au Dr K. depuis 2010. La Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois (CASSO) admet le recours de l’assuré et prononce la récusation de l’expert K.

L’assureur accidents Helsana fait recours au Tribunal fédéral.

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Utilité d’un avocat face à l’Office AI

Me Willy Füchslin à Lachen (SZ), spécialiste en médecine des assurances, a publié dans la Revue de l’Avocat 11/12 2021 un très intéressant article à ce sujet (« Der Anwalt im IV-Verfahren »). Avec son autorisation, nous en donnons ici un résumé en français.

  1.       Introduction

Il a été question d’une assurance invalidité vieillesse et survivants dès 1919. Le 6 décembre 1925, le peuple et les cantons ont accepté un nouvel art. 34 quater de la Constitution. Il a fallu attendre 1946 pour que soit adoptée une assurance vieillesse et survivants (AVS), entrée en vigueur le 1er janvier 1948. Mais l’assurance invalidité dut attendre jusqu’en 1960, peut-être parce que la Suisse n’avait pas à déplorer des invalides de guerre.

Au début, c’est le Président de la Commission AI qui décidait lui-même s’il fallait ou non accorder des prestations, après avoir entendu l’avis du médecin de la Commission. A partir de 1987 (2ème révision de l’AI), l’assuré se vit accorder un droit d’être entendu, y compris l’accès au dossier. C’est la 3ème révision de l’AI qui a réorganisé tout cela pour aboutir aux structures que nous connaissons aujourd’hui, soit la création d’Offices AI cantonaux (1988). A partir de 2002, ce sont les Services médicaux régionaux (SMR) qui procèdent aux appréciations médicales nécessaires; l’idée était de ne plus se fier aveuglément aux avis des médecins traitants des assurés.2.     Procédure

2. Procédure

L’entrée en vigueur de la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) au 1er janvier 2003 a entraîné une large unification des procédures en assurances sociales. Il fallait désormais faire opposition à une décision des Offices AI. Ce système n’a pas duré : à peine 3 ans plus tard, soit dès le 1er juillet 2006, on est revenu à l’ancien système du « projet de décision » contre lequel des objections pouvaient être apportées dans les 30 jours (art. 73 ter al. 1 RAI). A ce stade, l’assistance d’un avocat n’était qu’exceptionnellement jugée nécessaire (ATF 9C_565/2020 du 17.03.2021, cons. 3.1.1). La décision de l’AI ouvre directement une possibilité de recours au Tribunal cantonal des assurances ou, pour les assurés domiciliés à l’étranger, au Tribunal administratif fédéral. En principe, le délai de 30 jours pour présenter des objections aux projets de décision n’est plus prolongeable, sauf exceptions motivées (circulaire AI n° 406 valable dès le 1er janvier 2021 et adaptée dès le 31.03.2021).

Par ailleurs, les recours au Tribunal cantonal ne sont plus gratuits. L’avance des frais peut être fixée entre fr. 200.- et fr. 1’000.-.

3.     Investigations médicales et expertises (art. 44 LPGA)

Lorsque le cas nécessite de telles investigations, l’Office AI propose un expert, que l’assuré peut récuser conformément à l’art. 36 LPGA, lequel prévoit aussi une auto-récusation si l’expert a un intérêt personnel dans l’affaire « ou si, pour d’autres raisons, il semble prévenu ». La partie qui demande la récusation peut présenter des contre-propositions. Lorsqu’une expertise pluridisciplinaire est envisagée, c’est le principe aléatoire qui s’applique (procédure via la plateforme Med@p).

Cependant, la jurisprudence a étendu certains droits aux procédures monodisciplinaires ou bidisciplinaires (ATF 139 V 349). Cela vaut pour les garanties justiciables (droits de participation, obligation de statuer par des décisions et protection juridique). Il s’agit de tentatives d’amener les parties à se mettre d’accord sur la personne de l’expert. Si finalement cet accord ne peut être trouvé, l’assureur statue (ATF 142 V 551, cons. 7.3.2.3 avec renvois). Cela s’applique aux prononcés postérieurs au 1er janvier 2022.


Dès le 1er janvier 2022, l’accent est mis, par une modification législative, sur la réadaptation et la réintégration dans le marché du travail. De plus et surtout, les paliers grossiers (1/4 de rente, 1/2 rente, 3/4 de rente ou rente entière) sont remplacés par le calcul d’un pourcentage exact de rente, à l’instar de ce qui existe dans l’assurance-accidents obligatoire (LAA). Les invalides dont le droit à la rente est né avant le 1er janvier 2022 conservent les anciens « paliers grossiers » s’ils ont moins de 55 ans à cette date (disp. trans. litt. 6 LPGA). De plus, le Conseil fédéral fixe des critères pour qu’un médecin puisse fonctionner comme expert. En principe, les expertises font l’objet d’enregistrements sonores, sauf si l’assuré y renonce. En outre, les Offices AI doivent fournir des listes publiques complètes indiquant notamment, pour chaque expert, binôme d’experts ou centre d’expertises, le nombre d’expertises mandatées, classées par expertise mono- bi- et pluridisciplinaire, les incapacités de travail attestées par ces expertises dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, le nombre d’expertises ayant fait l’objet d’une décision d’un Tribunal cantonal des assurances, du Tribunal administratif fédéral ou du Tribunal fédéral, classées selon que le Tribunal a accordé une force probante pleine, partielle ou nulle à l’expertise et enfin la rémunération globale des experts en francs.

De plus, le nouveau système d’attribution aléatoire s’applique désormais non seulement aux expertises pluridisciplinaires, mais aussi aux expertises bidisciplinaires (art. 72 bis al. 1 bis RAI).

Certains préconisaient l’assistance d’un avocat lors des examens médicaux d’expertise. Cela n’a pas été admis. Ainsi, les seuls tiers qui peuvent participer sont, le cas échéant, les interprètes.

La valeur probante d’une expertise a été définie, semble-il une fois pour toutes, dans l’ATF 125 V 351, cons. 3a :

  • Il n’y a pas lieu de s’attacher à des règles formelles de preuve, mais il faut procéder à une appréciation globale de l’expertise.
  • L’assureur social ou, en cas de litige, le juge doivent examiner objectivement tous les éléments, indépendamment de leurs sources.
  • En cas de contradiction, ils doivent indiquer pourquoi ils s’appuient sur telle ou telle thèse médicale plutôt que sur une autre thèse.
  • L’appréciation médicale doit contenir une anamnèse, une appréciation de tous les aspects médicaux et fournir des conclusions dûment motivées.
  • S’agissant des médecins de famille ou de confiance, le juge doit tenir compte du fait qu’il peut leur arriver de donner des renseignements favorables à leurs patients.
  • Le fait que ce soit le patient lui-même qui fournit une expertise médicale ne suffit pas à mettre en doute la valeur de cette expertise. Une telle expertise de partie n’a pas la même valeur probante qu’une expertise judiciaire ou émanant d’un assureur; elle peut toutefois susciter des doutes suffisants sur la valeur d’une appréciation faite par les SMR (ATF 135 V 465, cons. 4.4; 9C_415/2019 du 14.10.2019, cons. 4.2).

Pour ce qui est des expertises proprement dites, elles ne peuvent être écartées par des appréciations différentes des médecins traitants que si ceux-ci fournissent des aspects mettant en lumière des éléments omis ou mal appréciés par les expertises (ATF 9C_86/2018 du 20.08.2018, cons. 5.4.1 et renvois).     

4. Critiques du système actuel des expertises

Aujourd’hui, les décisions qui accordent (ou le plus souvent refusent) des rentes reposent sur des appréciations administratives dont la qualité est très variée. Bien souvent, les limitations professionnelles des assurés ne sont pas appréciées correctement. Ceux-ci n’ont d’ailleurs souvent pas les moyens de faire établir des expertises privées. Comme le dit un auteur (Jeger dans Festschrift für Ueli Kieser, 2020, p. 233) (traduction) : « Celui qui ne cherche pas ou qui cherche que superficiellement ne trouve évidemment pas, gagne facilement de l’argent et satisfaisait son mandant (l’assureur social) si ce dernier ne doit pas fournir de prestations. D’autres auteurs soulignent que la sélection d’experts favorise ceux qui procèdent à des examens rapides et fournissent des expertises souvent déficientes ».

Ces problèmes sont connus. Depuis le 1er janvier 2021, les Offices AI doivent publier sur internet une liste des experts consultés de manière mono- ou bidisciplinaire et doivent les évaluer (Circulaire AI n° 404 en vigueur dès le 1er janvier 2021).

Il y a lieu de douter que ces mesures renforçant les droits des assurés soient suffisantes. L’idéal serait que les expertises ne soient plus un marché lucratif privé et soient transférées aux hôpitaux et cliniques publiques.

Notre commentaire :

D’une manière générale, les Offices AI et les tribunaux sont à notre avis trop restrictifs lorsqu’il s’agit d’accepter qu’un avocat d’office (assistance judiciaire administrative) assiste l’assuré dans la phase d’instruction (lors d’expertises médicales notamment). En effet, cette phase est souvent décisive, et les questionnaires d’expertise le sont tout autant. Les cas sont bien souvent complexes et l’enjeu est considérable tant pour la reconnaissance de l’invalidité en AI que pour celle, qui suit bien souvent, en prévoyance professionnelle.