Récusation d’un expert médical proche d’un assureur

Un salarié, né en 1969, subit en 2018 un accident de vélo, causant des fractures à l’épaule droite et au bras gauche. A un moment donné, l’assureur met fin à ses prestations. Bénéficiant d’une protection juridique, l’assuré fait opposition et produit plusieurs rapports médicaux. L’assureur ordonne alors une expertise qui se déroule chez l’expert Dr. K. Ayant consulté un nouvel avocat à Lausanne, l’assuré fait désormais valoir que cet expert est en fait l’associé du médecin-conseil de l’assureur et qu’il doit donc être récusé. En même temps, cet avocat demande la liste anonymisée de toutes les expertises confiées au Dr K. depuis 2010. La Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois (CASSO) admet le recours de l’assuré et prononce la récusation de l’expert K.

L’assureur accidents Helsana fait recours au Tribunal fédéral.

Tout d’abord, cette autorité partage l’option de transparence et ordonne « la production d’une liste anonymisée des cas dans lesquels l’assureur accidents a désigné le Dr K. comme expert indépendant (art. 44 LPGA) dans un dossier relevant de l’assurance-accidents depuis le 1er janvier 2010, avec indication des honoraires de l’expert ».


L’expert K., qui indique seulement qu’il partage les locaux et les frais avec le médecin-conseil de l’assureur, répond qu’il a rendu 169 rapports d’expertises depuis le 1er septembre 2019 jusqu’au 31 août 2021, ce qui lui a procuré un revenu de fr. 563’000.-, soit un montant annuel moyen de près de fr. 47’000.-.

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral examine si la demande de récusation de l’expert n’a pas été trop tardive. Au vu des circonstances, notamment du fait que l’assuré ne pouvait pas se douter de cette proximité même en entrant dans le cabinet, le TF a rejeté l’argument de l’assureur sur cette tardivité.

Sur le fond, un expert peut être récusé pour les mêmes motifs et selon les mêmes principes que pour ce qui est de la récusation d’un juge. Cela découle du droit constitutionnel à un Tribunal indépendant et impartial, ce qui est également consacré par l’art. 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Il n’est pas nécessaire de prouver qu’un expert est effectivement prévenu; il suffit « que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert ». Et le TF d’ajouter, en confirmation de sa jurisprudence, que « compte tenu de l’importance considérable que revêtent les expertises médicales en droit des assurances sociales, il y a lieu de poser des exigences élevées à l’impartialité de l’expert médical ».

Sur le fond et quand bien même les deux médecins ne faisaient que partager les locaux et les frais en demeurant indépendants dans l’exercice de leurs activités respectives « une telle constellation était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention » et le TF d’enfoncer le clou : « Force était en effet de constater que deux spécialistes exploitant un même cabinet de groupe – qui plus est, un cabinet de petite taille impliquant des contacts autrement plus fréquents et étroits que ceux d’experts œuvrant au sein d’un même centre d’expertise – avaient en définitive été sollicités par la recourante aux fins d’émettre des appréciations décisives pour le sort de la cause », ce qui n’étaient pas admissibles. La situation n’est pas comparable à celle de deux psychiatres qui travaillent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire. Il y a ici des « contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais (qui) constituent des éléments objectifs suffisants pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsqu’un des associés est désigné comme expert par un assureur accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur ».

Ainsi, le recours de l’assureur accidents doit être rejeté. Le Dr K. est bel et bien récusé.

ATF 8C_514/2021 du 27 avril 2022 destiné à publication

Notre commentaire :

Nous ne pouvons qu’applaudir. On voit tout d’abord l’importance du lien économique entre ce cabinet de deux médecins orthopédistes et l’assureur, vu les chiffres d’affaires réalisés pour les expertises. Le Tribunal cantonal et le Tribunal fédéral n’ont pas hésité à ordonner une parfaite transparence, laquelle a précisément mis au jour ces aspects économiques. D’autre part, il a fallu l’intervention d’un avocat spécialisé dans ce domaine pour que l’assuré, qui avait bravement déféré à l’ordre de se soumettre à une expertise dans ce cabinet, puisse voir ses droits être sauvegardés. Enfin – cerise sur le gâteau – le TF a décidé de publier cet arrêt.

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