Les anciennes poursuites peuvent-elles être communiquées à des tiers ?

En 2018, Mme X s’est vu notifier une poursuite pour un peu plus de fr. 1’000.- par une société Y Sàrl. Comme cette poursuite a été frappée d’opposition, Y Sàrl a demandé la mainlevée, mais le juge a refusé d’entrer en matière. Cette poursuite peut-elle être communiquée à des tiers ? Mme X invite l’Office à ne pas le faire. L’Office refuse: peu importe à son avis le résultat de la procédure de mainlevée : il suffit qu’une requête de mainlevée ait été déposée. Mme X recourt en vain au Tribunal cantonal. Elle porte l’affaire devant le Tribunal fédéral. 

Cette autorité rappelle que d’après la Loi sur les poursuites et faillites (LP), un débiteur peut à certaines conditions faire en sorte qu’une inscription au Registre des poursuites demeure secrète. C’est notamment le cas lorsque le délai d’une année de l’art. 88 al. 2 LP a été atteint. Deux intérêts sont à mettre en balance : l’intérêt du poursuivi à ne pas être « noirci » auprès des tiers et l’intérêt de tiers à connaître le crédit qu’on peut accorder à cette personne.

En principe, toute personne qui y a un intérêt peut consulter les registres des Offices des poursuites. Cependant, selon l’al. 3, les Offices ne doivent pas porter à la connaissance de tiers, notamment, « les poursuites pour lesquelles une demande du débiteur dans ce sens est faite à l’expiration d’un délai de 3 mois à compter de la notification du commandement de payer, à moins que le créancier ne prouve, dans un délai de 20 jours imparti par l’Office des poursuites, qu’une procédure d’annulation de l’opposition (note du réd., c’est-à-dire de mainlevée) a été engagée à temps ». Il est précisé en outre, à cette disposition, que « lorsque la preuve est apportée par la suite ou lorsque la poursuite est continuée, celle-ci est à nouveau portée à la connaissance de tiers ».

Le texte légal ne dit pas pendant combien de temps le débiteur a le droit de formuler une demande allant dans le sens de la non-communication à des tiers. Le Tribunal fédéral a jugé (ATF 147 III 41) qu’une requête de mainlevée déposée par le poursuivant suffit à démontrer le caractère sérieux de la poursuite, indépendamment du résultat de cette procédure. Les travaux législatifs et la doctrine n’apportent guère d’éclairage sur la question litigieuse. Le TF estime que le débiteur dispose en réalité de plusieurs moyens pour écarter une poursuite injustifiée, notamment une action selon l’art. 85a LP. Cette possibilité a d’ailleurs été élargie en 2015. En l’espèce, la demande formulée par le débiteur a été faite plus d’une année après la poursuite. Son intérêt à défendre sa crédibilité est alors relativement limité. Ainsi le Tribunal cantonal pouvait, sans violer le droit fédéral, rejeter cette demande. Par conséquent, le recours de Mme X doit être rejeté.

ATF destiné à publication 5A_927/2020 du 23 août 2021

Notre commentaire :

Le système suisse des poursuites, apparemment unique au monde, ouvre de larges possibilités d’information pour des tiers. Nous estimons cependant cet arrêt partiellement contradictoire. En effet, d’une part, il indique le débiteur ne subit pas de grands inconvénients à ce que l’existence de la poursuite soit communiquée à des tiers et d’autre part, il dit que, pour faire face à de tels inconvénients, ce poursuivi peut ouvrir une action en constatation qu’il ne doit rien. Or, une telle action est compliquée et coûteuse. Au contraire, une poursuite même malveillante est très vite faite. Il nous semble qu’à l’occasion d’une prochaine révision de la LP il serait adéquat de prévoir une non-communication à des tiers pour toutes les poursuites restées sans suite au bout d’une année (ni mainlevée, ni action au fond), mais également pour les poursuites où pour lesquelles une mainlevée a été requise mais pas obtenue. Il est vrai toutefois qu’une requête de mainlevée faite pendant l’année dès notification de la poursuite peut être répétée avec d’autres arguments (il n’y a pas de force de chose jugée). En revanche, une fois passé ce délai d’une année, on devrait considérer que la poursuite n’a plus d’effet et que, par conséquent, son existence ne doit pas être communiquée à des tiers.

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