Clause peu claire d’un bail commercial
Un local commercial est loué dans le canton de Vaud pour plus de 40’000.- par mois, pour une durée initiale de 5 ans (ce qui permet une clause d’indexation), bail renouvelable ensuite d’année en année. Comme d’habitude, c’est le bailleur qui a rédigé les clauses. Parmi celles-ci figure la clause suivante :
« Article 3
Le présent bail est conclu pour une durée de cinq ans, qui commence le 01/12/2017 pour finir le 30/11/2022. Toutefois le locataire aura la possibilité de résilier son bail un an après la date de début du présent bail avec un préavis de six mois avant l’échéance de celui-ci. «
En décembre 2019, le locataire résilie pour le 30 juin 2020. Le bailleur n’accepte pas cette résiliation : elle serait tardive car, pour lui, le locataire aurait dû résilier le 1er décembre 2018 (un an après le début du bail), de sorte que le locataire doit le loyer jusqu’au 1er décembre 2022. Ce 1er décembre 2018 serait le seul moment possible pour une résiliation.
Au contraire, le locataire fait valoir que la clause lui donne le droit de résilier à tout moment, une fois passée la première année de bail. Il estime ainsi ne devoir le loyer que jusqu’au 30 juin 2020.
Le Tribunal des baux donne raison au locataire, mais la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal juge en sens inverse : le loyer serait dû jusqu’au 1er décembre 2022. Le locataire recourt au TF.
Cette autorité constate tout d’abord qu’il est impossible de fixer la volonté de chaque partie lors de la conclusion (ce qui aurait été une question de fait). Quant à une interprétation objective, selon les méthodes habituelles, elle est également impossible : la clause peut objectivement avoir le sens qu’une résiliation unique ne serait admissible qu’au bout d’un an, mais aussi que cette expression de « un an » marquerait simplement la durée minimale du bail pour le locataire, lequel pourrait alors résilier en tout temps une fois cette durée passée (ce qui serait courant et conforme aux dispositions légales). De même, le principe de la confiance (comment le locataire devait de bonne foi comprendre la clause) ne fournit pas de piste utilisable.
Face à cette impossibilité d’interprétation d’une clause peu claire, le TF recourt en définitive à la règle de jurisprudence (reprise du droit romain) « in dubio contra proferentem » : l’auteur du texte doit se voir imputer sa propre rédaction peu claire. La thèse du locataire l’emporte et l’arrêt cantonal est ainsi renversé, de sorte que le jugement de première instance du Tribunal des baux est validé.
Arrêt 4A_245/2024 du 24 juin 2025
Notre commentaire :
Nous approuvons cet arrêt, en allant même plus loin : le principe de la confiance, à lui seul, aurait pu emporter la décision en faveur du locataire, au vu de l’économie du contrat : on ne voit pas l’intérêt qu’aurait eu le bailleur à une résiliation qui n’aurait été possible que pile un an après le début du bail, dès lors que le bailleur lui-même voulait – comme le montre le procès – conserver le locataire le plus longtemps possible (un loyer de 500’000,- par an n’étant manifestement pas négligeable).
De plus, il n’est pas usuel ni logique de prévoir une date précise et unique pour émettre une résiliation : ce qui est logique, c’est dire qu’un résiliation doive être donnée au plus tard à une certaine date.
Cette affaire montre que le rédacteur d’un contrat prend toujours un risque et il est judicieux qu’il se fasse bien conseiller.
Dans un autre domaine, celui des assurances privées, les assurés ne doivent toutefois pas trop compter sur la règle d’interpétation en défaveur des assureurs, et le conseil juridique à la conclusion est ici aussi judicieux.