Heures supplémentaires : quid d’un employé qui s’organise librement ?
X. est un employé supérieur qui gagne, bonus compris, plus de Fr. 200’000.- par année. Il s’organise librement et a effectué de nombreuses heures supplémentaires lors de voyages. Il a pris sa retraite en 2008. Il fait valoir des heures supplémentaires, notamment pour des déplacements en dehors des horaires, la nuit et le week-end, pendant 5 ans. En première instance, il obtient ainsi un montant brut de près de Fr. 230’000 pour ces heures supplémentaires. En appel, la rémunération des heures supplémentaires lui est refusée : X devait pouvoir s’organiser librement de manière à ne pas effectuer d’heures supplémentaires et, de toute façon, il n’a pas prouvé le nombre de celles-ci. X recourt au Tribunal fédéral. Devant la Cour suprême, X fait valoir que la cour d’appel ne pouvait pas admettre sur la base des témoignages qu’il devait s’organiser librement et qu’il n’était pas soumis à l’horaire normal de l’entreprise. Effectivement, le supérieur de X avait confirmé que celui-ci était soumis au règlement de la société, en ajoutant que X « devait travailler du lundi au vendredi. Nous ne travaillons pas le week-end ». Concernant les voyages, ce témoignage indiquait que c’était à X de gérer ses rendez-vous… » Le TF écrit : « la conclusion que l’autorité d’appel a tirée de ces témoignages — à savoir que le recourant bénéficiait d’un horaire flexible, différent de l’horaire officiel prévu dans le règlement — n’est pas soutenable. Il s’ensuit que le grief tiré d’une appréciation arbitraire des preuves est fondé ». Cependant, le TF ne peut pas juger lui-même. Pour cela il lui manque des éléments. Le TF estime pouvoir donner à l’autorité cantonale, à laquelle il va renvoyer le jugement, une instruction de prendre en compte le temps de déplacement pour le travail du week-end, car c’est du travail supplémentaire dès lors que X n’était normalement pas tenu de travailler et, partant, de se rendre au bureau. Les juges genevois devaient inviter le recourant à préciser tout cela en application de l’article 56 CPC. Donc « en retenant l’absence de preuve des heures supplémentaires alléguées pour le motif susmentionné, la cour cantonale est, là aussi, tombée dans l’arbitraire ». Le recours est donc admis, mais le TF dit que l’autorité cantonale doit encore examiner si l’ensemble des activités était nécessaire à l’accomplissement des tâches de l’employé, si elles ne pouvaient pas être exercées à d’autres moments et si elles ont été autorisées ou avalisées par les personnes compétentes. Le TF ajoute — et cela ne réjouira pas le recourant — que celui-ci devra supporter les conséquences des éventuelles difficultés de preuve liée au fait qu’il a tardé à demander la rétribution des heures supplémentaires pour chacun des 55 voyages allégués. Les frais judiciaires de Fr. 5500 sont mis à la charge de l’intimée, qui reçoit Fr. 6500 .- de dépens pour l’instance fédérale.
4A_73/2016 du 11 juillet 2016
Notre commentaire :
L’enseignement de cet arrêt pour les salariés est qu’il ne faut pas hésiter — même pour des cadres haut placés — à faire valoir des heures supplémentaires et à les faire valoir en temps utile, pour éviter des difficultés de preuve. L’enseignement pour les juges est qu’il ne suffit pas de retenir — d’une manière toute générale — des faits comme prétendument « résultant du dossier », mais qu’il faut effectivement que les témoignages apportés fassent apparaître ces faits comme réels, cela avec des explications suffisantes dans le jugement. Si les juges ne sont pas au clair, il faut qu’ils utilisent, davantage qu’aujourd’hui, l’article 56 CPC.