Que valent les rapports de détectives mandatés par des assurances ? Un arrêt important de Strasbourg

Une assurée LAA subit un accident le 28 août 1995. Suite à de nombreuses péripéties médico-judiciaires, avec intervention d’un détective mandaté par l’assureur, qui observe l’assuré de manière cachée, les prestations sont supprimées malgré des avis médicaux confirmant l’invalidité. Sur recours, le tribunal cantonal des assurances donne raison à l’assuré et maintient la rente. L’assureur recourt au TF où il obtient gain de cause le 29 mars 2010 : les rapports de détectives démontrent bien qu’il y a une pleine capacité de gain et c’est à juste titre que la rente a été supprimée. Par son avocat combatif Me Stolkin, membre de l’association des avocats défenseurs des assurés Robin Law, cet assuré recourt auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg qui vient de rendre son arrêt … 6 ans plus tard.

C’est un arrêt de principe, rendu à 6 juges contre 1. La Suisse peut encore recourir auprès de la Grande chambre, de sorte que cet arrêt n’est pas définitif. En substance, la Cour juge qu’il n’y a pas de base légale suffisante, dans le droit suisse des assurances et spécialement dans la LPGA,  pour organiser la possibilité, pour les assureurs, de mandater des détectives chargés d’observer les assurés. En particulier, rien n’est prévu au sujet des procédures à suivre pour obtenir une autorisation ou une supervision des surveillances secrètes. Il n’y a pas d’autorisation préalable d’un juge. Le droit suisse ne contient aucune norme concernant la conservation, l’accès, l’examen, l’utilisation, les communications, ou encore la destruction des données collectées. Cela viole le droit à la vie privée (article 8 CEDH). De plus, lorsque ces observations de détectives sont pratiquement la seule base de la décision des assureurs ou du tribunal, elles ne peuvent être déterminantes (considérant 99 a contrario), sauf à violer le droit à un procès équitable au sens de l’article 6 CEDH (violation qui n’a toutefois pas été retenue en l’espèce parce que le Tribunal fédéral avait pris en considération d’autres aspects médicaux antérieurs à la surveillance).

L’assuré obtient € 8000 de tort moral et € 15’000 de participation à ses frais.

Affaire Vukova-Bojic c. Suisse du 18 octobre 2016, Affaire 61838/10 , 3e section (en anglais).

Notre commentaire :

Suite à cet arrêt, largement commenté dans le public, il a surtout été question des abus commis par les assurés. Ceux-ci existent certes parfois, mais l’arrêt de Strasbourg fait clairement ressortir les abus commis par les assureurs, qui espionnent les assurés à leur insu, sélectionnant judicieusement tout ce qui peut servir leurs intérêts d’assureurs, sans même compter que ces détectives sont souvent les obligés de ceux qui les paient, à savoir les assureurs, et qu’ils ont intérêt à trouver absolument quelque chose, s’ils ne veulent pas se priver de mandat à l’avenir…

Reste à savoir quel sera l’impact de cet arrêt, si la Suisse ne fait pas recours ou s’il est confirmé par la Grande chambre : n’y aura-t-il plus d’observation par détectives ? Celles-ci devront-elles être systématiquement écartées des dossiers ? Faudra-t-il une nouvelle loi en Suisse ? Bien des discussions seront encore nécessaires.

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire