Comment établir le degré d’invalidité pour un salarié qui n’a pas bénéficié d’augmentations pendant longtemps ?
M. A., né en 1963, subit un accident en 2017. Il est licencié en 2018. L’assureur LAA SUVA lui accorde une rente de 16% dès le 1er novembre 2020. Sur recours, le Tribunal des assurances du canton de St-Gall augmente la rente à 23%. La SUVA fait un recours au Tribunal fédéral (TF), afin que le 16% décidé par elle soit validé.
Le débat portait essentiellement sur le gain dit « de valide », c’est-à-dire celui que l’assuré aurait pu réaliser si l’accident ne s’était pas produit. En principe, on part du dernier salaire obtenu avant l’accident. En l’espèce toutefois, l’assuré faisait valoir que ce salaire n’avait pas été augmenté depuis plusieurs années. Dès lors, plaide l’assuré, il aurait à terme pris un autre travail mieux rémunéré, toujours dans l’hypothèse où l’accident ne se serait pas produit. C’est le salaire de ce nouveau travail qui devrait être pris en compte pour la comparaison des salaires.
Sur ce point, la position du TF est la suivante (traduction) :
« Le seul fait que l’employeur n’a pas adapté le salaire du travailleur, du moins durant les premières années, ne constitue en règle générale pas pour autant un motif pour le salarié, d’envisager de trouver une nouvelle place de travail, ce qui impliquerait pour lui des démarches et des frais non négligeables. (note du soussigné : le TF ne dit pas – on ne voit pas – quelles pourraient être ces démarches importantes ni ces frais financiers…) Mais si la stagnation du salaire dure plusieurs années, entraînant un différentiel toujours croissant avec les salaires habituels de la branche, on ne peut plus raisonnablement (de manière réaliste) admettre que le salarié n’aurait pas recherché un autre emploi » (arrêts cités par le TF U 66/02 cons. 4.1.1, voir aussi 8C_795/2019 du 25.03.2020, cons. 4.4.1 et 9C_414/2011 du 11.07.2011, cons 4.3).
Le TF ajoute que cette question est liée à celle de l’abattement pour âge avancé, comme salaire d’invalide.
En l’espèce, le salarié était resté environ 28 ans dans la même entreprise. On ne saurait donc admettre, selon la règle de la vraisemblance prépondérante, qu’il aurait donné son congé pour cause de salaire insuffisant. Cela d’autant moins qu’environ 3 ans avant l’accident, il avait subi une diminution de salaire non négligeable de fr. 300.- par mois du fait qu’il n’était plus tourneur, mais simplement chargé d’entretien. Quant à l’abattement de 10% sur le salaire d’invalide, il n’y a pas lieu de le retenir car cela a déjà été pris en compte dans la comparaison des revenus. La comparaison avec des cas où une personne est atteinte psychiquement ou a une maladie évoluant par poussées n’est pas pertinente en l’espèce. On ne saurait non plus accorder un abattement de 10% sur le salaire d’invalide au motif d’une longue durée d’emploi, car ce motif ne joue pas pour les travaux non qualifiés. Par conséquent, le taux de 16% fixé par la SUVA doit être confirmé et non celui de 23% retenu par le Tribunal cantonal st-gallois.
Etant donné cependant que, devant le Tribunal fédéral, les arguments présentés par M. A. pour s’opposer au recours SUVA n’étaient pas dépourvus de chances de succès, l’assistance judiciaire de fr. 2’800.- est accordée par le Tribunal fédéral, lequel prend également en charge les frais par fr. 800.-.
ATF 8C_615/2022 du 24.05.2023
Notre commentaire :
Cet arrêt confirme que le TF maintient sa pratique sévère, surtout à l’égard des travailleurs ayant un profil d’exigence 1 (peu qualifiés). Le TF part de l’idée que ces travailleurs manuels, même si comme en l’espèce ils ont des difficultés au niveau des membres supérieurs, ne subissent guère de perte économique en termes d’incapacité de gain. De tels travailleurs ne doivent pas être mis au bénéfice d’un abattement sur le salaire statistique d’invalide. Des exceptions ont surtout été consenties pour des atteintes psychiques ou des maladies évoluant par poussées, qui rendent difficiles la recherche et le maintien de nouveaux emplois pour de tels invalides.