Un assureur veut supprimer une rente qu’il estime avoir été accordée à tort

Suite à un accident de la circulation en novembre 2004, Mme X. se voit attribuer en novembre 2007 une rente LAA de 30% et une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

En 2015, Allianz procède à une révision et considère que l’état de l’assurée s’est amélioré : désormais, la rente est supprimée avec effet au 31 mars 2015. L’assurée s’y oppose et finalement une expertise est conduite en 2021 qui aboutit au résultat que le lien de causalité entre l’accident et l’état psychique de l’assurée n’existait pas, de sorte que la rente doit être supprimée en application de l’art. 53 de la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). Cette suppression est rétroactive en 2015 : l’assurée devrait rembourser ce qu’elle a touché depuis 2015 et également l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Un recours au Tribunal des assurances sociales de Bâle-Ville contre cette décision d’Allianz est rejeté. L’assurée dépose alors un recours au Tribunal fédéral (TF).

Le TF estime que la Cour cantonale de Bâle-Ville a correctement exposé les principes de ce qu’il est convenu d’appeler une « révision procédurale ». La disposition topique est la suivante : « L’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable ». Tout tourne donc autour de la question de savoir si la décision de rente et d’indemnité pour atteinte à l’intégrité faite à l’époque était ou non « manifestement erronée ».

Après un rappel de toute la jurisprudence concernant cette disposition, spécialement sur la notion de causalité adéquate entre des séquelles physiques (somatiques) d’accident et les séquelles psychiques, le Tribunal fédéral expose que si cette question n’a pas été examinée à l’époque, il y a une erreur manifeste justifiant que l’assureur revienne sur sa décision trop généreuse.

Il en va toutefois différemment lorsque, à l’époque, l’assureur avait une « marge d’appréciation », qu’il avait utilisée en accordant la rente.

La Cour cantonale de Bâle-Ville avait rejeté le recours de Mme X. en disant qu’il y a bel et bien eu une erreur manifeste : l’assureur avait omis d’examiner, que ce soit de manière explicite ou de manière implicite, la question de la causalité entre les atteintes somatiques et les troubles psychiques.

L’assurée explique dans son recours au TF qu’Allianz est connue pour chercher à supprimer des rentes anciennes (alors même que cette assurance a été entièrement indemnisée par le responsable de l’accident, par la voie de l’action récursoire). L’assurée demande donc au TF de mettre un terme à cette pratique inadmissible. De plus, selon les conceptions de l’époque, la causalité adéquate avait bel et bien été admise au moins implicitement.

Dès lors, la question litigieuse se concentre autour de la notion d’admission implicite de la causalité adéquate. Le TF décide « dans le sens d’une précision de jurisprudence » (cons. 5.3.4) qu’il faut certes toujours un examen de la causalité, mais que cet examen peut être implicite. Autrement dit : si l’assureur, à l’époque, avait implicitement admis la causalité, on ne peut pas dire aujourd’hui que sa décision était manifestement erronée. Il faut, dit le TF, laisser tomber les jurisprudences récentes qui posent des critères plus sévères à l’admission d’une causalité implicite.

Après analyse soigneuse du cas, le TF considère qu’en application des règles qui prévalaient en 2007 (et qui étaient moins sévères qu’aujourd’hui quant à la causalité adéquate), Allianz avait admis implicitement cette causalité entre les atteintes physiques et les atteintes psychiques. Donc, la décision de l’époque n’était pas manifestement erronée et le versement de la rente doit se poursuivre.

ATF 8C_698/2023 du 27.11.2024

Notre commentaire :

Tout d’abord, on peut s’étonner que cet arrêt important ne soit pas publié, alors même qu’il est qualifié par le TF lui-même de « précision de la jurisprudence » et même de modification de celle-ci en ce sens que de récents arrêts ne sont plus valables. Effectivement, un arrêt de 2018 (8C_525/2017) indiquait qu’une correction par application de l’art. 53 LPGA s’imposait lorsque, à l’époque, la causalité n’avait – à tort – pas été examinée. D’ailleurs, plusieurs assureurs utilisaient systématiquement cette jurisprudence pour supprimer les rentes.

Il est effectivement difficile d’admettre – ne serait-ce que pour la sécurité du droit – qu’un assureur se prévale de sa propre erreur, commise de nombreuses années auparavant, pour annuler une décision favorable aux assurés. Cela a fortiori, lorsque l’accident a été causé par un tiers : le versement des prestations par l’assureur ne lui coûte rien dans ce cas puisqu’il peut exercer une action récursoire contre ce tiers responsable.

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