Assurance sociale : quelle date est déterminante pour fixer le préjudice économique (degré d’invalidité)?

Mme X. est née le 24 décembre 1947. Entre le 1er juin 2002 et le 30 novembre 2003, elle a eu droit à une rente entière de l’AI. Dès décembre 2003, c’est une demi-rente qui a été fixée. Il y eut ensuite des procédures entre les parties et finalement, le 9 juillet 2009, l’AI a retenu une demi-rente depuis juin 2002. Statuant bien plus tard, le Tribunal cantonal argovien corrige la décision de l’AI du 9 juillet 2009 et alloue une rente entière avec effet rétroactif en 2002.

L’Office AI recourt au Tribunal fédéral, faisant valoir en substance que le début de la rente se situe en 2002 et que, par conséquent, à cette époque-là, l’assurée n’avait que 56 ans, ce qui l’empêche de bénéficier de la jurisprudence plus favorable concernant les assurés ayant autour de 60 ans au minimum. L’assurée fait valoir de son côté que la date déterminante est en 2009 alors qu’elle avait pratiquement 62 ans.

Le Tribunal fédéral, constatant que sa pratique n’est pas uniforme à cet égard, a réuni ses diverses Cours pour fixer une pratique commune qui fera jurisprudence.

Le Tribunal fédéral rappelle que 4 moments peuvent être considérés comme déterminants pour l’admission d’un solde de capacité de gain et la comparaison de ce solde (théorique) avec le gain sans invalidité. Ces 4 moments sont les suivants :

a)      l’ouverture du droit à la rente ou, en cas de révision, la modification de ce droit, ou

b)      la constatation médicale de l’exigibilité d’une activité professionnelle totale ou partielle, ou

c)      le projet de décision, ou enfin

d)      la décision.

Le Tribunal fédéral décide que c’est la variante b) qui est la meilleure et qui doit à l’avenir être retenue.

Autrement dit, la comparaison des revenus doit se faire à la date où l’exigibilité médicale est fixée.

Dans le cas présent, cette date était à fin 2008, car le Tribunal cantonal argovien avait encore exigé des investigations médicales complémentaires. La date de décembre 2008 était donc celle où l’exigibilité médicale avait été définitivement fixée. Le Tribunal avait statué quelque 6 mois plus tard (en été 2009) et avait décidé que c’était ce moment-là qui était déterminant. Mais les choses n’avaient guère changé entre la fin de l’année 2008 et l’été 2009. Par conséquent, le recours de l’Office AI est infondé : à fin 2008 (ou en été 2009), l’assurée avait 61-62 ans et n’était plus capable, en raison de son âge et de son manque de qualifications, de se tourner vers une nouvelle activité, qu’elle n’aurait de toute façon pu exercer que durant peu d’années.

ATF du 25.10.2012  9C_149/2011 destiné à publication

Notre commentaire :

En soi, cette solution est assez logique et elle apporte une clarification bienvenue de la pratique. En effet, la variante a) (comparaison des revenus lors de l’ouverture du droit à la rente) n’est guère logique puisqu’il peut s’écouler plusieurs années entre ce moment-là et la décision et que – comme le relève à juste titre le Tribunal fédéral – l’assuré lui-même n’est pas au clair sur ce qu’il peut faire ou non puisqu’il y a précisément, durant plusieurs années, un litige quant à la capacité de gain. Les variantes c) et d) sont écartées parce qu’elles sont aléatoires et ne dépendent pas vraiment de la situation de l’assuré, mais bien plutôt des possibilités qu’a l’administration de faire avancer les dossiers. Cela dit, la variante b), retenue par le Tribunal fédéral, n’est pas toujours aisément praticable : nous pensons en particulier aux cas où les opinions médicales sont divergentes, voire ne sont pas immédiatement notifiées à l’assuré, qui ne peut ainsi pas entamer des démarches de reconversion. Il arrive aussi que l’exigibilité médicale soit fixée a posteriori, par une appréciation rétrospective sur une date relativement plus ancienne; or, cet arrêt du Tribunal fédéral ne dit pas s’il faut comprendre l’expression « Feststehen der medizinischen Zumutbarkeit » comme se référant à la date elle-même de l’avis médical fixant cette incapacité ou comme la date retenue par cet avis médical du début de ladite incapacité; nous pencherions pour la date du rapport médical lui-même, puisque la raison de cet arrêt est qu’avant la date de ce rapport l’assuré ne sait pas « sur quel pied danser » quant à une réadaptation ou une reconversion. De plus, les appréciations rétrospectives ont toujours quelque chose d’arbitraire.

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