Quand la réclamation du locataire et la résiliation du bailleur se croisent…

Le 25 mai 2012, un locataire ouvre action contre son bailleur par une requête à la commission de conciliation. Il se plaint de divers défauts de l’objet. Le même jour, c’est-à-dire forcément avant d’avoir connaissance de cette action, le bailleur envoie une lettre de résiliation. Le locataire estime que cette résiliation est annulable en application de l’article 271a CO, qui dispose : « le congé est annulable lorsqu’il est donné par le bailleur notamment parce que le locataire fait valoir de bonne foi des prétentions découlant du bail ».

Devant le tribunal, le bailleur fait valoir, entre autres arguments, qu’il ne peut pas avoir donné un congé de représailles, puisqu’il ignorait, ce 25 mai 2012, que son locataire avait saisi la commission de conciliation. Ce n’est en effet que le 29 mai 2012 que la requête était parvenue à la commission de conciliation. Elle n’a sans doute été notifiée au bailleur que quelques jours plus tard. L’expression « parce que » suppose une vengeance.

Les tribunaux zurichois de première et de deuxième instance lui donnent raison et refusent donc d’annuler la résiliation. Le locataire recourt au tribunal fédéral.

Cette autorité se demande s’il est nécessaire ou non, pour que le locataire puisse bénéficier de la protection de cette disposition, que le bailleur ait connaissance d’une procédure en cours contre lui. Cette question n’a encore jamais été tranchée. Il a simplement été jugé que la protection débute au moment où une action du locataire est engagée (4A_588/2013 du 15.4.2014) ; la question de la connaissance, par le bailleur, de l’existence d’une telle action doit aujourd’hui être tranchée. Les auteurs sont divisés à ce sujet. Certains soutiennent que le congé ne peut constituer des représailles que si le bailleur a connaissance d’une action judiciaire contre lui. D’autres se fondent sur la lettre de la loi, ainsi que sur des considérations pratiques (comment prouver la date exacte où le bailleur a connaissance de l’action judiciaire ?).

Une procédure est « pendante » non pas au moment où la commission de conciliation a reçu la requête, mais dès l’envoi de celle-ci. De plus, la protection du locataire ne suppose pas nécessairement que l’on soit en présence d’un congé de représailles. Il suffit qu’une action soit objectivement pendante. D’une manière générale, la loi s’attache à des éléments objectifs. Par conséquent, la protection commence bel et bien au moment où le locataire expédie sa requête de conciliation.

Le bailleur, dans la présente affaire, avait encore invoqué la mauvaise foi du locataire, situation qui est prévue à l’article 271 a : « à moins que le locataire ne procède au mépris des règles de la bonne foi »). Le tribunal fédéral rejette cet argument, car l’objet présentait effectivement des défauts et les parties en avaient largement discuté.

Le congé est ainsi annulé. Pour le niveau du  TF, les frais judiciaires (Fr. 6’000.-) et les dépens (Fr. 7’000.-) sont à la charge du bailleur. Les Tribunaux zurichois sont invités à statuer sur les frais cantonaux à charge du bailleur.

ATF 4A_482/2014 du 20 janvier 2015, destiné à publication

Notre commentaire :

Ctte décision mérite approbation. Le locataire est la partie faible au contrat et la loi vise à le protéger. S’il est vrai qu’on parle couramment du « congé de représailles », le texte légal prévoit une protection aussitôt qu’une action est« pendante », sans que la connaissance, par la partie adverse, d’une telle action ne soit formellement exigée. De plus, le Tribunal fédéral a certainement tenu compte de la « praticabilité » du système. Le seul inconvénient de cette jurisprudence est qu’elle peut conduire à une « course de vitesse » : le locataire se dépêchera de saisir la commission de conciliation et le bailleur, de son côté, se dépêchera d’envoyer le congé. Autrement dit : « que le meilleur gagne… ».

 

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