Calcul de l’invalidité : le TF annule une disposition réglementaire

Un ouvrier du bâtiment, atteint dans sa santé, ne peut plus exercer son ancienne profession. Il pourrait en revanche travailler à temps partiel dans une activité physique. La comparaison des revenus aboutit à lui faire octroyer par l’Office AI une rente de 54%. Il recourt auprès du Tribunal cantonal de Bâle-Ville qui lui accorde une rente de 59%. L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) fait un recours auprès du Tribunal fédéral pour que cette rente ne soit que de 57%.


Cette autorité rappelle tout d’abord que, selon la pratique, le taux d’invalidité est établi par la comparaison entre ce qu’aurait gagné l’assuré sans invalidité et ce qu’il peut encore théoriquement gagner après la survenance de cette invalidité. C’est donc le rapport entre ce qu’il est convenu d’appeler gain réel ou exigible (théorique) d’invalide et le revenu de valide.

Toutefois, le gain d’invalide peut parfois être réduit par l’application d’un « abattement ». L’idée est que ce gain théorique d’invalide peut être affecté à la baisse pour les personnes un peu plus âgées ou qui, pour d’autres raisons, auraient de toute façon de la peine à obtenir un tel gain.


Le litige tourne autour de l’art. 26bis du règlement AI (RAI) dans sa teneur d’avant le 1er janvier 2024. Si, du fait de l’invalidité, les capacités restantes de l’assuré au sens de l’art. 49 al. 1bis ne lui permettent de travailler qu’à un taux d’occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique.

Si par exemple un assuré ne peut plus travailler qu’à 50% et devrait donc gagner théoriquement la moitié d’un salaire de fr. 60’000.- – toutes ces valeurs étant théoriques – il était possible d’après cette disposition de ne retenir qu’un salaire théorique de fr. 27’000.- et non de fr. 30’000.-, ce qui augmentait naturellement son taux d’invalidité.


Or, dans la présente affaire, le Tribunal cantonal de Bâle-Ville a accordé, en quelque sorte en dérogation à cette disposition, un abattement de 15%.

Au terme d’un très long arrêt, le TF parvient à la conclusion que cet art. 26 bis al. 3 n’est pas en conformité avec l’art. 16 de la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). Certes, la norme de délégation de l’art. 28 a al. 1 LAI autorise le Conseil fédéral à fixer « les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables ». Mais il ressort des travaux parlementaires que l’on n’a jamais voulu changer le système. Selon les déclarations du Conseiller fédéral Alain Berset de 2019, « sur le principe, l’évaluation du taux d’invalidité ne change pas ». A l’issue d’une longue exégèse de cette disposition, le TF parvient à la conclusion que le Conseil fédéral a outrepassé ses pouvoirs en limitant le plafond de l’abattement à 10%. D’ailleurs, cet art. 26 bis RAI a changé à nouveau au 1er janvier 2024 en faveur des assurés et le nouveau texte est le suivant : « Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’alinéa 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49 al. 1 bis de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible ». Ainsi, dit le Tribunal fédéral, il est possible et licite d’interpréter l’ancienne disposition dans l’esprit de la nouvelle, ce qui permet de justifier le 15%. Le recours de l’OFAS doit être rejeté.

ATF 8C_823/2023 du 08.07.2024 destiné à publication

Notre commentaire :

Il est assez rare que le Tribunal fédéral – comme il en a le pouvoir – censure une ordonnance ou un règlement du Conseil fédéral. C’est le cas ici. Le Tribunal fédéral ne peut certes pas contrôler la constitutionnalité des lois, mais il peut examiner si une ordonnance ou un règlement a une base légale suffisante.


On sait depuis longtemps que les valeurs statistiques des revenus en Suisse sont trop élevées pour les invalides. En effet, ces statistiques se fondent sur les gains des salariés valides. Les invalides ont divers handicaps faisant que même si théoriquement leur capacité est par exemple de 50%, ils ne peuvent pas gagner le 50% de ce qu’obtiennent les assurés valides. D’où l’idée de l’abattement. Cet abattement était trop rigide avec l’ancienne limite à 10%. La situation s’est améliorée – et il faut s’en réjouir – avec la nouvelle norme du règlement AI entrée en vigueur le 1er janvier 2024, fixant un abattement forfaitaire à 20% dès que l’invalide atteint ou dépasse un taux d’invalidité de 50%. Pour les invalidités inférieures à 50%, la validité du nouveau taux forfaitaire de 10% n’est pas certaine, au regard de cet arrêt.

-commentaires (0)-

Publier un commentaire